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![]() Héléna et Samuel Autexier Les Billardes - 04300 Forcalquier Fax : 0492 730 028 Malle : marginales@free.fr ![]() » courrier de Jules Mougin |
Le carré est un endroit, derrière la cuisine, où on règle les comptes. C'est le seul endroit où les élèves autres que les membres du conseil ont le droit de taper. Et les terminales sont très forts pour tabasser les nouveaux dans le carré. Ils les provoque, ils leur fixe une heure, et ils leur tapent dessus jusqu'à ce qu'ils demandent grâce en sortant à quatre pattes. Et tous les moyens sont permis, absolument tous ! Les profs bien sûr, ils font en sorte ne pas voir ça, quand ils savent qu'un gars est en train de se faire démolir. D'ailleurs, quoi qu'il puisse se passer dans le carré, il est absolument interdit d'intervenir, c'est contre les principes de l'école. Journaliste et romancier suédois né en 1944, Jan Guillou a nourri La Fabrique de violence de son expérience de collégien. Dénonciation d'un système éducatif fondé sur la loi du plus fort, ce roman est publié aux éditions Marginales/Agone. L'adaptation de Benny Haag qui a recueilli un immense succès en Suède et en Finlande est enfin présentée aujourd'hui au public français. Compagnie La Métonymie lametonymie@wanadoo.fr Avec le soutien de L'Institut Suédois de Stokholm
AGENDA 2004-2005 - LA FABRIQUE DE VIOLENCE 2004 Théâtre d'Ermont Salle des Malassis Théâtre de la Tête Noire 2005 Espace Culturel Espace Germinal Salle Jean Vilar Le Théâtre Forum Culturel Théâtre d'Arras Maison de la Culture
Du droit du plus fort Dénonçant un système éducatif où le caprice des plus forts fait loi, Jan Guillou dresse un brûlant réquisitoire contre la violence et ses impasses dans cette oeuvre largement autobiographique qu'est La Fabrique de violence. Erik, le personnage principal, enfant battu par un père au ceinturon véloce, passe de la prison familiale à celle du collège. Il y subit des sévices identiques, aussi bien étouffés par l'institution scolaire que par sa mère complice d'un mari tortionnaire. Héroïque, il se bat bec et ongles pour préserver son honneur d'homme et s'efforce de demeurer debout. Christophe Caustier, mis en scène par Tiina Kaartama, s'empare avec une intelligence et une maîtrise incroyables de ce rôle de victime résistante. La prestation est époustouflante, le travail est remarquable, le résultat est inouï. « Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir. ». Ce paradoxe dénoncé par Rousseau stigmatise la perversion du droit du plus fort mais montre aussi toute l'ampleur de son horreur institutionnelle. Lorsque les plus grands ne jouissent de façon diabolique que du seul exercice vexatoire de leurs poings, quand la cruauté se voit soutenue par la lâcheté, quand la société ferme les yeux devant les coups portés par les médiocres sur les faibles, quand on enferme dans des lycées agneaux et loups comme pour se repaître du spectacle du sacrifice des premiers sur l'autel de la virilité psychotique des seconds, le carnage humain atteint un paroxysme insupportable et sens et valeurs sombrent sous l'effet de la fureur. Le texte de Jan Guillou se fait la chambre d'échos de cette atroce mise à mort. Profonds sont l'ordre et la paix des cachots. On entend rarement les cris des enfants au sein des familles à la respectable façade, on n'écoute pas leurs râles dans les règlements de comptes des cours d'école, on confond rite initiatique et torture gratuite dans les bizutages. Caution morale de cette violence légitime qu'est l'Etat, l'école prépare en de macabres répétitions la soumission des plus fragiles en leur apprenant à serrer les dents sous l'injure : elle est bien cette obscène fabrique de violence que dénonce Jan Guillou. Aux parents qui confondent autorité et brutalité, aux professeurs qui ferment les yeux sur la maltraitance, aux passifs de toute espèce qui rient avec les méchants ou tremblent devant eux, l'écrivain suédois tend un miroir de responsabilité. Tout silence est complice et toute complicité est meurtrière. Derrière le discours militant et politique auquel l'adaptation dramatique offre une force accrue, apparaît une interrogation métaphysique fondamentale sur la nature du mal. Pourquoi les hommes choisissent-ils la facilité du vice et se complaisent-ils au spectacle des holocaustes ? Pourquoi y avait-il un jardin de fleurs à Auschwitz ? Le c¦ur de l'homme est-il à ce point plein d'ordures pour qu'y poussent à loisir les abjections les plus délétères ? La vertu est-elle si fragile que la peur et la lâcheté la terrassent facilement ? A ces questions foncièrement pessimistes, Jan Guillou répond malgré tout par l'espoir. Il est possible qu'un ultime geste soit sanglant tout en étant le dernier, ouvrant la voie à une rédemption positive après la vengeance. Celui qui devient plus fort que la force peut faire le pari de la non-violence. Et la gloire du combattant est alors d'autant plus grande que la victime a vaincu le bourreau qu'elle aurait pu devenir. Tiina Kaartama signe une mise en scène du texte de Guillou en tous points remarquable. Avec une évidence et une fluidité rares, elle mène et accompagne le comédien sur un chemin de fermeté et d'élégance jamais démenties. A chaque geste, à chaque mimique, à chaque tirade, on la sent comme en surimpression, présente dans le jeu d'un acteur avec lequel elle a mené à bien un travail subtil et abouti. Dans un décor dépouillé qui ne convient qu'aux vrais artistes, Christophe Caustier fait renaître les lieux du martyre et de la résistance des enfants. Tour à tour père autoritaire et brutal, mère désabusée et aveugle, crapuleux roi des mouches, incarnant les tortionnaires, leurs complices et leurs victimes, Erik le héros révolté et Pierre le bouc-émissaire, il réussit à raconter ce chemin de croix avec une maîtrise de l'art théâtral que sa jeunesse rend d'autant plus insolente. Tantôt rondouillard binoclard, tantôt brute épaisse, il parvient à dire et à montrer les plus ténues variations de cette symphonie virulente. Tout est là de la distance et de l'implication, de la souplesse et de la retenue, de la conviction incarnée et du détachement comédien. La jubilation du jeu, le plaisir pris à faire du théâtre et tout ce qui fait de la prestation d'un acteur un pur moment de grâce balayent la scène en de vastes bourrasques. C'est peu dire qu'un homme est né à la scène quand son talent le place ainsi d'emblée au rang des meilleurs. Le texte est servi sans répit, avec cette presque désinvolture qu'autorisent la maîtrise, l'intelligence et l'évidence du travail. Le comédien traverse sa partition avec une aisance époustouflante. L'ensemble constitue un spectacle de haute tenue et ouvre brillamment la saison du Théâtre-studio qui nous promet cette année encore une programmation d'excellence et d'exigence. Il est des lieux rares où souffle l'esprit : Alfortville en est un. Catherine Robert |