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![]() Héléna et Samuel Autexier Les Billardes - 04300 Forcalquier Fax : 0492 730 028 Malle : marginales@free.fr ![]() » courrier de Jules Mougin |
La grève
générale de Seattle Février 1919. La guerre vient juste de prendre fin. La direction de l'IWW est en prison mais l'idée de grève générale qu'elle a longtemps soutenue devient réalité à Seattle (État de Washington), où le débrayage de cent mille ouvriers paralyse la ville pendant cinq jours. La grève commença avec les trente-cinq mille ouvriers des chantiers navals qui exigeaient une augmentation de salaire. Ils demandèrent le soutien du Central Labor Council de Seattle, qui proposa de lancer un mouvement à l'échelle de la ville. Deux semaines plus tard, cent dix syndicats locaux - la plupart membres de l'AFL, une poignée d'autres affiliés à l'IWW - avaient voté la grève. Chaque syndicat était représenté au comité de grève générale par trois membres élus par sa base. Le 6 février 1919, à dix heures du matin, la grève débutait. L'unité n'avait pas été facile à obtenir : les syndicats locaux de l'IWW ne s'entendaient guère avec ceux de l'AFL, et les travailleurs japonais, admis au comité de grève générale, restaient cantonnés dans un rôle d'observateurs. Quoi qu'il en soit, soixante mille travailleurs syndiqués cessèrent le travail et quarante mille autres en firent autant en signe de soutien. Il existait d'ailleurs à Seattle une forte tradition radicale. Pendant la guerre, leprésident de l'AFL locale, un socialiste, avait été emprisonné - et torturé - pour obstruction à la conscription. À cette occasion, on avait organisé de grandes manifestations ouvrières. En février 1919, toutes les activités cessèrent, excepté celles que les grévistes mirent sur pied pour subvenir aux besoins de première nécessité. Les pompiers acceptèrent de rester à leurs postes. Les blanchisseurs ne travaillaient plus que pour l'hôpital. Les véhicules autorisés à se déplacer portaient l'inscription : « Exempté par le comité de grève ». Trente-cinq postes de distribution pour le lait furent installés dans les quartiers et trente mille repas étaient préparés quotidiennement dans d'immenses cuisines, transportés dans les cantines collectives éparpillées dans toute la ville et servis pour 25 cents aux grévistes et pour 35 cents aux autres. La viande, les pâtes, le pain et le café étaient servis sans compter. Une milice ouvrière constituée de vétérans de la récente guerre fut chargée d'assurer le maintien de l'ordre. Dans l'un des quartiers généraux de cette milice, on pouvait lire sur un tableau que son « but [était] de maintenir la loi et l'ordre sans avoir recours à la force ». Et encore : « Aucun volontaire ne jouira de prérogatives policières ni ne sera autorisé à porter d'armes d'aucune sorte. On usera exclusivement de persuasion. » Pendant la grève, la criminalité diminua. Le commandant du détachement militaire envoyé dans la région confia aux grévistes qu'en quarante ans d'expérience militaire il n'avait jamais vu une ville aussi calme et aussi bien gérée. L'Union Record de Seattle (un quotidien édité par les travailleurs) publia un poème signé Anise : c'est que rien ne se passe ! à des émeutes, possèdent des mitrailleuses et des soldats, mais ce silence souriant les inquiète. ne comprennent pas ce type d'arme. qui ébranle leur confiance dans les armes ! qui parcourt les rues marquée "exempté par le comité". qui s'améliorent chaque jour, et les trois cents ouvriers vétérans de la guerre maîtrisant les foules sans fusils. d'un nouvel ordre possible et d'un nouveau monde dans lequel ils se sentent étrangers. La grève s'était déroulée pacifiquement. Elle fut cependant suivie de perquisitions et d'arrestations dans les locaux du parti socialiste et dans ceux d'une imprimerie. Trente-neuf membres de l'IWW furent jetés en prison en tant que « principaux propagateurs de l'anarchie ». Certains propos du maire de Seattle font penser que l'establishment craignait moins la grève elle-même que ce qu'elle symbolisait. Selon lui, « la grève générale prétendument débonnaire de Seattle était une tentative de révolution ». Il ajoutait : « Qu'il n'y ait pas eu de violences n'y change rien. [...] L'objectif, tant avoué que confidentiel, était bien de renverser le système industriel, ici pour commencer et partout ailleurs ensuite. Certes, il n'y eut pas de coups de feu, de bombes ou d'assassinats. Mais la révolution, je le répète, n'est pas nécessairement violente. La grève générale telle qu'elle s'est pratiquée à Seattle est en elle-même une arme révolutionnaire ; et d'autant plus dangereuse qu'elle est non violente. Pour parvenir à ses fins, elle doit faire cesser toute activité. Arrêter totalement le mouvement vital de la communauté. [...] C'est-à-dire mettre le gouvernement hors jeu. C'est le seul objectif de la révolte, et peu importe le moyen. » [pages 427 à 431] Howard Zinn
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Répression
des Wooblies Joseph Ettor, un responsable de l'IWW, affirmait que « si les travailleurs du monde entier [voulaient] l'emporter, il leur [suffisait] de prendre conscience de leur solidarité, de croiser les bras pour que le monde soit paralysé. Les travailleurs sont plus puissants avec leurs mains dans les poches que tout l'argent des capitalistes. » C'était une idée extrêmement puissante. Au moment même où la croissance capitaliste devenait fantastique et les bénéfices énormes, et au cours des dix années captivantes qui suivirent sa création, l'IWW représenta une menace pour la classe capitaliste. Officiellement, l'IWW ne compta jamais plus de cinq ou dix mille membres en même temps. Les gens allaient et venaient, mais on peut néanmoins estimer à cent mille environ le nombre total des membres de l'IWW. Leur énergie, leur persévérance, leur force de conviction, leur capacité à mobiliser des milliers de personnes en un lieu et à un moment précis leur conféraient un poids dans le pays sans rapport avec leur effectif réel. Ils voyageaient partout et nombre d'entre eux étaient des travailleurs itinérants ou sans emploi. Ils militaient, écrivaient, discouraient, chantaient et pour finir propageaient leur idéal et leur message. Ils furent la cible de toutes les armes dont le système pouvait disposer : la presse, les tribunaux, la police, l'armée, la violence de rue. Les autorités locales votèrent des lois pour les empêcher de s'exprimer mais les Wobblies défièrent ces lois. À Missoula (Montana), un pays de scieries et de mines, des centaines de membres de l'IWW arrivèrent dans des wagons de marchandises après que certains d'entre eux eurent été empêchés de s'exprimer. On les arrêta les uns après les autres, tant et si bien qu'ils finirent par encombrer cellules et tribunaux, contraignant la ville à abroger son arrêté interdisant la prise de parole en public. À Spokane (Washington), en 1909, un arrêté fut voté qui interdisait les rassemblements sur la voie publique. En conséquence, un membre de l'IWW qui tenta néanmoins de s'exprimer fut arrêté. Des milliers de Wooblies convergèrent vers le centre-ville. Ils prirent la parole l'un après l'autre et furent arrêtés. Bientôt, six cents d'entre eux se retrouvèrent derrière les barreaux. Les conditions de détention étaient terribles et plusieurs personnes moururent dans leurs cellules, mais l'IWW retrouva sa liberté d'expression. En 1911, la lutte pour la liberté d'expression se transporta à Freno (Californie). Le Call de San Francisco écrivit que c'était « une de ces étranges situations qui éclatent soudainement et sont difficiles à comprendre. Quelques milliers de gens, dont l'activité est de travailler avec leurs mains, se mettent en route et voyagent en fraude, affrontant les pires difficultés et risquant mille dangers pour venir se faire mettre en prison ». En prison, ils chantaient, criaient et haranguaient à travers les barreaux de leurs cellules des groupes rassemblés à l'extérieur. Selon Joyce Kornbluh, qui a publié une remarquable collection de documents de l'IWW, Rebel Voices, « ils discutaient à tour de rôle de la lutte des classes et entonnaient des chants de l'IWW. Lorsqu'ils refusaient de se taire, le geôlier appelait les pompiers et ordonnait qu'on les arrosât avec les lances à incendie. Les hommes utilisaient leurs matelas comme boucliers et le calme ne revenait que lorsque l'eau glacée atteignait les genoux des prisonniers ». Lorsque les autorités de la ville apprirent que des milliers d'autres militants prévoyaient de s'y rendre, elles levèrent l'interdiction de s'exprimer dans les rues et relâchèrent les prisonniers par petits groupes. La même année, à Aberdeen (Washington), même scénario : décret contre la liberté d'expression, arrestations, prison et, contre toute attente, victoire. L'un des hommes arrêtés, « Stumpy » Payne (Payne le Courtaud), charpentier, ouvrier agricole et rédacteur en chef d'un journal de l'IWW, écrivit au sujet de ces événements : « Ils étaient là, dix-huit gars dans la force de l'âge, dont la plupart avaient parcouru aussi vite qu'ils l'avaient pu de longues distances sous la neige en traversant des villes hostiles, sans argent et affamés, pour rejoindre un endroit où l'emprisonnement était le plus doux traitement auquel ils pouvaient s'attendre. Un endroit où de nombreux autres avaient déjà été traînés dans la boue et quasiment battus à mort. [...] Pourtant, ils étaient là, riant comme des enfants devant ces événements tragiques qu'ils considéraient comme de simples blagues. Qu'est-ce qui motivait ces hommes ? [...] Pourquoi étaient-ils là ? Le besoin de fraternité chez l'être humain est-il plus fort que la peur ou l'inconfort, et ce malgré l'énergie dépensée depuis six mille ans par les maîtres du monde pour extirper cette soif de fraternité qui habite l'esprit humain ? » [pages 378/379] Howard Zinn
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