Marginales

Revue de littérature et de critique sociale

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Boris Lutanie

Entre les murs, entre les mots

lundi 27 octobre 2008

Écrite au lendemain de la révocation de la liberté de Jann-Marc Rouillan, cette analyse de Boris Lutanie montre comment les juges du Tribunal d’application des peines lisent, dans ce que Rouillan ne dit pas, « l’absence de regret » qui justifie leur décision. L’auteur entrevoit aussi la création « d’une censure “positive” où tout ce que vous ne direz pas pourra être utilisé contre vous ».

Ce texte a été « lu et approuvé » par des tagueurs parisiens, merci à eux.


Jean-Marc Rouillan, victime de l’acharnement judiciaire ? Rien n’est moins sûr. Son affaire semble également relever du harcèlement textuel, et du délit de non-dit. Le tribunal d’application des peines a l’étrange faculté de lire entre les lignes, et de combler lui-même les blancs entre les mots.

Explication de texte : dans les pages de L’Express, à la question posée par un journaliste concernant un éventuel repentir de sa part, Rouillan répond : « Je n’ai pas le droit de m’exprimer là-dessus... » Trois points suspensifs qui en disent long selon la Justice, qui révoque du même coup son régime de semi-liberté. Reprenons : « Mais le fait que je ne m’exprime pas est une réponse. Car il est évident que si je crachais sur tout ce qu’on avait fait, je pourrais m’exprimer. Mais par cette obligation de silence, on empêche aussi notre expérience de tirer son vrai bilan critique. » Dans la novlangue judiciaire, ne pas dire c’est dire. Les magistrats extrapolent sur les silences, surlignent les espaces et, pour tout dire, donnent du sens à l’absence. Dit, non-dit et inter-dit : faute de pouvoir l’incriminer sur ce qu’il aurait pu dire, on le claquemure sur ce qu’il n’a pas dit. Une absence aussi signifiante que suffisante. On dépasse ici les habitudes censoriales de notre démocratie moderne pour restaurer la dystopie orwellienne de la « police des pensées ». Une lecture interlinéaire de l’interview de Rouillan conduit expressément à son retour entre les murs. Emmuré pendant vingt ans, il n’a donc toujours rien dit sur la question des regrets. Rien, c’est déjà trop.

Après les tentatives d’imposer une histoire positive de la colonisation, et l’apparition du concept de « laïcité positive », on assiste aujourd’hui à l’avènement d’une censure positive où tout ce que vous ne direz pas pourra être utilisé contre vous. Le mutisme et l’inaction discrète ne vous sauverons pas. Rien n’est plus sûr.

Boris Lutanie, le 17 octobre 2008

Portfolio

Entre les murs...

P.-S.

Boris est le frère de Manon qui a lancé dès le 4 octobre une première pétition de soutien. Celle-ci a rassemblé en une semaine plus de 80 signatures transmises à l’avocat de Jann-Marc Rouillan le 15 octobre.

Si vous souhaitez signer l’appel « Parole en cage » pour la libération de Jean-Marc Rouillan, c’est ici.

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