Marginales

Revue de littérature et de critique sociale

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Philippe Geneste

Pour en finir avec l’affaire Seznec

mercredi 24 juin 2015

Langlois Denis, Pour En Finir avec l’affaire Seznec, Paris, les éditions de la Différence, 2015, 376 p. 22€

En 1924, la cour d’assises de Quimper a condamné sans preuves formelles Guillaume Seznec au bagne à perpétuité pour le meurtre du conseiller général Pierre Quémeneur dont on n’a jamais retrouvé le corps. L’affaire est devenue le symbole de l’erreur judiciaire. Elle est close aujourd’hui pour la justice, l’ultime demande en révision ayant été rejetée.

Denis Langlois a été l’avocat de la famille Seznec de 1976 à 1990, avant d’être écarté par Denis Le Her. En effet, celui-ci -vite devenu au cours de sa campagne de réhabilitation de son grand-père, Denis Seznec- préféra à la prudence éprouvée de la démarche de justice de l’avocat, le choix d’un passage en force médiatique.

On connaît la plume de Denis Langlois, sa précision et son charme narratif. Ces qualités sont ici mises à contribution pour l’analyse approfondie de l’affaire Seznec dans toute sa durée (1924-2006). L’index puis la table analytique, qui clôt le livre, sont des aides appréciables pour s’y repérer. Il serait vain, évidemment, de résumer une telle plongée dans les archives judiciaires et dans l’univers des tribunaux et de leurs entours. Disons, juste, que ces analyses vibrent du souffle de l’intelligence d’investigation. Mais nous voudrions, dans cette chronique, nous arrêter sur trois axes qui sous-tendent, nous semble-t-il, la rédaction de l’ouvrage.

D’une part, il y a la question de l’honnêteté comme guide de l’engagement. On connaît celui de Denis Langlois [1]. Sa profession d’avocat, il la porte aussi comme devant rester attachée aux exigences éthiques de ses convictions et comme un domaine de leur réalisation pratique. La confrontation avec l’homme Guillaume Seznec à partir de la page 250 est passionnante à cet égard. Qu’est-ce que dire les choses si cela ne s’accompagne pas de voir les faits ? Comment, aussi, ne pas s’aveugler en reconstitutions du réel pour s’offrir la grâce illusoire de phénomènes concordant avec des engagements sans effraction ? Ces questions ne sont pas propres à l’avocat engagé, elles sont, nous semble-t-il propres à toute pratique engagée dans les conflits sociaux, conflits de classes pour les syndicalistes par exemple. Or, au fond de l’acte militant, n’y a-t-il pas une lutte pour la vérité « du moins celle que [l’on croit] savoir » [2] ? Et si tel est le cas, comment cette lutte ne pourrait-elle pas amener le militant à poser les bornes des concessions à faire lors de la pratique professionnelle d’une part, lors de la pratique militante d’autre part ? Considérons ces légendes sur lesquelles s’édifient bien des certitudes des appareils syndicaux, légendes qui sont resservies à chaque nouvel appel à telle ou telle action, dans les discours dominicaux post-manifestation : l’éthique militante n’appelle-t-elle pas à les démasquer pour les leurres qu’elles sont ? N’est-ce pas cela militer : œuvrer à une vérité, c’est-à-dire, lutter pour une vérité, celle du moins vers laquelle nos analyses et pratiques du moment nous amènent ? Il n’y a pas pire hypocrisie que de penser que militer ne s’appuie pas sur des convictions profondes. Ce n’est pas du dogmatisme, juste de l’honnêteté devant sa vie.

D’autre part, Pour En Finir avec l’affaire Seznec offre un matériau de première main pour comprendre combien il est vain de donner crédit à la médiatisation pour faire triompher une cause. Là aussi, la lecture du livre de Denis Langlois, du point de vue du militantisme engagé dans les conflits sociaux, est d’une grande richesse. Il y a d’abord la question de la dépossession de sa voix par les médias. L’analyse en est bien connue, le livre en offre une illustration qui foisonne de détails et donc de mises en garde salutaires. C’est que la médiatisation d’une cause n’est pas exempte du travestissement de celle-ci, travestissement qui peut être dû à la simple volonté de convaincre un public élargi en faveur d’une combat en cours. Mais le même mouvement, qui initie l’appel à la médiatisation, refoule le fait que les médias prennent la main sur la cause en question, y mettent la main dessus. Ils transposent dans l’univers unique qui est le leur, celui du discours (langage verbal, langage d’images), la pratique même de la lutte que les intéresséEs ont choisi de mener. Ce que Denis Langlois permet de pointer avec netteté, ce sont les errements de la voie médiatique pour défendre la vérité d’une cause.

Enfin, l’ouvrage a une autre portée. Denis Langlois est un militant des droits de l’homme, on le sait. Est-ce que le droit peut dans une société comme la nôtre être au fondement de combats sociaux, syndicaux ? La première réponse est d’évidence, oui, surtout si on pense à l’univers judiciaire. La réponse est oui, aussi, quand on pense, par exemple, à l’exercice nécessaire de défense des travailleurEs pour lesquels on sait combien les droits nécessitent toujours d’être rappelés sinon reconquis. Mais le droit de notre société peut-il être une garantie pour les exploitéEs ? Rien n’est moins sûr, car toute revendication de droits reste contrainte par l’énoncé hic et nunc du droit, dont l’énonciateur est la bourgeoisie. À moins que l’on pense à ce que les syndicalistes du début du vingtième siècle nommaient la coutume ouvrière, mais dans ce cas là, ne sort-on pas du droit bourgeois et ne doit-on pas alors élargir la question revendicative à un par-delà du droit ? C’est une question qui outrepasserait la lettre du récit de Denis Langlois. Mais ce dernier interroge la place du droit dans la pratique de l’engagement contre les injustices sociales et au-delà, il porte une interrogation instruite sur la société future. Il écrit : « Je suis persuadé que si un jour les êtres humains parviennent à construire une société satisfaisante –ne renonçons surtout pas à l’utopie-, ils seront obligés de se colleter avec la vérité judicaire (et donc avec les risques d’erreur). Il n’est guère réaliste de penser qu’il n’y aura plus d’individu qui violeront les règles communes, plus de meurtriers, plus de faussaires, et pour se perpétuer la société satisfaisante devra, sinon juger comme aujourd’hui, du moins rechercher une solution qui soit acceptable pour tous » (p.362). Comment, par conséquent, surmonter la violence faite aux règles coopérativement instituées, et quel visage pourrait prendre une justice non liée à l’inégalitarisme bourgeois ? Ce sont des questions qui n’ont guère le vent en poupe aujourd’hui mais qui, pourtant, nous armeraient sûrement dans la lutte quotidienne contre l’aliénation. On comprend, aussi, qu’il serait important d’intégrer une réflexion sur la condition des prisonniers, comme cela a pu exister au sein du syndicalisme naissant à travers la question du travail des prisonniers comme volet exacerbé de l’exploitation des travailleurEs en général.

Pour En Finir avec l’affaire Seznec est un livre ouvert, historique mais aussi porteur d’interrogations pour le présent. La justice n’a pas reconnu son injustice, alors le droit a trouvé argument en lui-même pour argumenter l’injustice en cause juste. La remise de peine, obtenue après vingt ans de bagne le 14 mai 1947, relève du miracle, de l’état d’exception qui ne remet pas en cause l’ordre du droit sur lequel repose l’illusion de la neutralité des règles qui régissent les interactions humaines. Un des nombreux intérêts du livre de Denis Langlois est de permettre aux non érudits en droit de rentrer dans les mécanismes judiciaires de l’affaire, de complexifier aussi les faits afin d’en donner toute la dimension sociale et humaine.

Philippe Geneste

Notes

[1] auteur Le Cachot, Maspéro, 1967, Panagoulis, le sang de la Grèce, Maspéro, 1969 ; Les Dossiers noirs de la police française, Le Seuil, 1971 ; Guide du militant, Le Seuil, 1972 ; Les Dossiers noirs de la justice française, Le Seuil, 1974 ; Les Dossiers noirs du suicide, Le Seuil, 1976 ; pour ne citer que des ouvrages antérieurs à la date où Denis Langlois devint avocat de la famille Seznec.

[2] « Je veux me faire l’avocat de la vérité, du moins de celle que je crois savoir » écrit l’auteur page 8.

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