Marginales

Revue de littérature et de critique sociale

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Philippe Geneste

De la Guerre des Boutons à la Grande Guerre

dimanche 3 août 2008

Louis Pergaud ; illustré par Claude Lapointe, La Guerre des Boutons, Gallimard Jeunesse, 2002, 256 p.

Dans une nouvelle présentation confortable et luxueuse, est paru chez Gallimard un beau livre à couverture cartonnée, avec un cahier iconographique de 8 pages permettant d’aller sur les traces de Pergaud (1882/1915) qui reprend celle parue en 1977 dans la collection « Grands Textes illustrés ».

La Guerre des Boutons, publié en 1912, a occulté l’œuvre de Pergaud (1885 – 1915), mort à la guerre. Pergaud venait d’avoir le Goncourt pour un recueil de contes animaliers, De Goupil à Margot (1910) et avait juste sorti La Revanche du Corbeau (1911). Si le conteur animalier s’est quelque peu évanoui dans nos consciences, le prosateur de l’enfance des petits garçons paysans de la montagne comtoise est resté, et définitivement après le film nationaliste d’Yves Robert (1962). Pergaud y puise l’attachement descriptif dans son métier d’instituteur, et, par cette veine d’authenticité, se trouve placé dans le courant de la littérature prolétarienne, littérature paysanne [1]. Le roman est à la fois un exemple de la vieille école républicaine et la preuve littéraire de la sollicitude d’un instituteur à l’égard des écoliers d’un milieu rural de la France. Comme Ludovic Massé un peu plus tard, c’est, par une observation scrupuleuse et insistante des mœurs et par une écoute attentive de la langue parlée populaire, que Louis Pergaud fait vivre l’âme villageoise de ses douze ans (« roman de ma douzième année » est le sous-titre du roman) à Landresse (Longueverne dans La Guerre des boutons) en Franche-Comté.

C’est par la langue, d’abord, que ces enfants sont des enfants terribles. La langue parlée fait irruption dans le roman, dans ses registres familiers et vulgaires. Pergaud s’appuie sur les enfants pour porter le combat linguistique dans le champ littéraire, comme si l’innocence enfantine supposée devait permettre de faire passer l’assaut culturel que représente le roman. En effet, s’il y a une charge subversive du roman de Pergaud, elle est là [2], dans la langue de ces enfants, langage hors de l’école, refoulé à l’école et qui s’épanouit à l’air libre du plein air, des champs et des bois. Ce langage farouche, aux références rabelaisiennes, cherche à imposer une représentation des motifs triviaux dans la littérature. Ne nous y trompons pas, c’était un vrai combat pour Pergaud qui choisit d’écrire sa correspondance dans le style vert de ses romans. On retrouvera, plus tard, l’usage de l’oralité triviale à des fins littéraires, chez Céline, mais aussi, avant lui, chez Romain Rolland et bien d’autres. Pour bien comprendre l’enjeu, il n’est pas vain de revenir sur Pergaud. Il est fils d’un instituteur du Doubs qui, travaillant à Paris, contractera une nostalgie pour sa province et le terroir de son enfance. Il en vient, alors, à mettre en scène son enfance campagnarde et, pour cela, il va chercher dans la langue des gros mots, dans la langue verte, les ressources d’une reconquête d’identité sociale par l’œuvre littéraire.

Du coup, les enfants pourraient être vus comme des porteurs d’un inédit avenir littéraire qui partirait, certes, du naturalisme d’un Zola en littérature et du réalisme de Courbet et Millet en peinture, mais pour ouvrir des brèches dans la crise du roman que traverse la littérature française à la veille de la première guerre mondiale et qui se poursuivra après la grande boucherie. Les enfants terribles prêtent, donc, leur réalité de papier à un combat plus large. Leur cruauté, les vicissitudes de leurs parcours de vie, les élans de solidarité dont ils font preuve entre eux contre ou à l’insu du monde adulte, permettent à Pergaud de camper non pas des héros mais un groupe social. Ainsi, La Guerre des boutons en vient à jouer sur une identification, non à un héros mais à une réalité de groupe, le groupe des pairs de milieu essentiellement populaire, que favorise la narration à la troisième personne et que suture le langage commun.

C’est par là, nous semble-t-il, que le livre transcende la littérature de terroir pour devenir roman populaire. Qu’il soit passé dans le domaine de la littérature de jeunesse alors que celle-ci peine à trouver des ouvrages à l’écriture travaillée doit nous faire réfléchir sur la fonction assignée à cette littérature, éditorialement foisonnante…

Ceci étant, deux interrogations sont légitimes face à cette œuvre. D’abord, les deux bandes rivales qui s’affrontent ont un terrain neutre : l’école présentée comme le lieu unificateur d’une bataille des mondes. N’est-ce pas le mythe de l’école intégratrice que reproduit ici Pergaud ? Ensuite, le roman est écrit dans un tintamarre de préparatifs guerriers et, si on peut dire qu’il y a objectivité réaliste à décrire la guerre des groupes de jeunes, cette guerre des boutons n’est-elle pas préfiguratrice de l’ardeur guerrière qui sera sollicitée deux ans plus tard ? C’est là une interprétation développée, en son temps, par Liliane Fontan dans la revue La Tache d’encre. La résonance très patriotique du film qui sera tiré du livre ne fait que la conforter.

Laissons ailleurs la parole au livre. Il s’agit des dernières phrases :

« -Tout de même, bon Dieu ! Qu’il y a pitié aux enfants d’avoir des pères et des mères !

Un long silence suivit cette réflexion. Lebrac recachait le trésor jusqu’au jour de la nouvelle déclaration de guerre. Chacun songeait à sa fessée, et, comme on redescendait entre les buissons de la Saute, La Crique, très ému, plein de mélancolie de la neige prochaine et peut-être aussi du pressentiment des illusions perdues, laissa tomber ces mots :

« Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu’eux ! »

Philippe Geneste

Notes

[1] cf. Henry Poulaille, Le Nouvel Age Littéraire, Plein Chant

[2] Et pas du tout dans le discours sur la guerre qui affiche, plutôt, l’œuvre d’endoctrinement patriotique de l’école républicaine. C’est un autre sujet.

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